jeudi 23 septembre 2010

Lecture en Guyane : des questions

De la lecture en Guyane que savons-nous ?par Monique Dorcy

26 octobre 2009



Quelques impressions et/ou inquiétudes dont ne sait si elles sont fondées ? Rien pour les étayer, aucune donnée chiffrée publiée. Un plan de développement (tardif… XXIe siècle !) de la lecture porté par le Conseil général qui n’est pas encore édité dans sa version-papier, pas davantage sur le net et donc impossible à juger. Un circuit du livre cohérent souhaité… une profession qui s’ignore, trop discrète pour ne pas dire absente… une économie du livre qu’on a peine à imaginer. Bref, beaucoup de silences…

La Rentrée littéraire 2009 organisée par Promolivres au Centre commercial de Match a, une fois de plus, permis de prendre le pouls du livre, dont l’état de santé reste préoccupant, c’est le moins qu’on puisse dire ! Mon questionnement n’a certainement pas pour motif de céder à la facilité d’une critique stérile. Bien au contraire, il se veut fécond, au nom de cette seule raison : on ne construit pas un peuple sans livre, quelle que soit la forme de ce dernier.

L’auteur
Nombre d’entre nous avons fait « arrêt sur image » sur des auteurs emblématiques que furent-sont Léon-Gontran Damas, Elie Stephenson et Serge Patient alors que, depuis, depuis, depuis, sont apparus d’autres bienvenus, peu-mal connus parce que peu-mal édités et peu-mal médiatisés. Tous ont en commun le désir d’être lus, par le lecteur guyanais d’abord et plus si affinités… MAIS… Combien se sont inquiétés de la qualité de leur écriture ? Combien lisent d’autres auteurs qu’eux-mêmes ? Combien se sont frottés à l’exercice de la critique, qui de toutes façons brille par son absence ? Combien ont suivi des ateliers d’écriture, qui de toutes façons ne garantissent rien ? Quel rôle moteur jouent les associations d’auteurs, qui ont le mérite d’exister, dans la promotion de leurs membres alors qu’elles sont le plus souvent sans moyens pour les faire valoir ailleurs qu’en Guyane ?

L’éditeur

Faire le tour de l’édition en Guyane ne réclame pas une longue réflexion puisque celle-ci se résume à Ibis rouge et à l’auto-édition. L’un comme l’autre ont leurs qualités et leurs défauts : dans le cas de l’édition patentée, l’auteur est assuré d’entrer dans une politique éditoriale à peu près claire, un catalogue de produits de bonne facture, d’être diffusé et valorisé… du moins en théorie ; dans celui de l’auto-édition, de « se faire » exister à condition de s’engager dans un véritable parcours du combattant mal fléché… MAIS… Dans le premier cas, existe-t-il un comité de lecture, voire de re-lecture des manuscrits soumis ? Quid de la diffusion efficace des œuvres produites en Guyane et ailleurs ? Quid des rétributions des auteurs, notamment de ceux qui vendent le plus ? Dans le second, l’auto-édité, sait-il les contraintes du réseau des libraires, de leur nécessaire gestion de stocks, de leur nécessaire obligation de résultat financier, de la concurrence pas seulement des autres titres mais également de la pensée, des imaginaires ? Est-ce que le fait d’être guyanais, de lire guyanais est une condition suffisante pour éditer sans faire cas de la qualité et de la rigueur ? L’auteur comme l’éditeur n’abusent-t-ils pas de l’empathie du lecteur que sa guyanité militante empêche de pilonner (homme comme livre) ?
Le libraire
Le réseau de diffusion se divise en deux gros blocs : les libraires inscrits au registre du commerce, et, ce faisant, participant de l’économie guyanaise traitée dans ses chiffres par la CCI et un réseau de grandes surfaces, petites épiceries, drugstores dans des proportions moindres. Ce qui a protégé la librairie en général et la librairie guyanaise (AJC, Casabulles, Librairie Suzini, Encrage, Librairie Monnerville, Toucan) en particulier, c’est le Prix unique du livre imposé par le Ministre de la culture, Jacques Lang, voilà une vingtaine d’années. La mort de la librairie traditionnelle annoncée par les grandes enseignes et aujourd’hui les librairies virtuelles est différée… MAIS… jusqu’à quand en Guyane ? sachant : que les délais d’acheminement (près d’un mois et demi dans le cas des revues mensuelles) et les coûts du transport, pèsent d’un poids à même de dissuader l’acte de lire (15% de hausse à l’arrivée) ; que la notion d’actualité et de nouveauté est tout simplement aléatoire en Guyane ; qu’il faut s’interroger sur la vraie formation des personnels qui ont en charge le conseil au livre et dont la culture du livre laisse à désirer ; que le lectorat guyanais désespère par son étroitesse au point que le libraire se transforme en papetier ou en vendeur saisonnier de manuels scolaires ; que la profession est peu solidaire, peu organisée, peu écoutée par les instances aptes à agir pour qu’elle vive mieux (CCI, collectivités territoriales).

Les bibliothèquesOn ne peut nier que le réseau des bibliothèques et des CDI d’établissements scolaires existe. Il s’est en 20 ans amplifié et se trouve conduit par des personnels plus ou moins formés, probablement tous enthousiastes, MAIS… Que de disparités !
Disparités dans le recrutement : quels critères sont requis par l’employeur, sauf, pour certains, à recycler des personnels au placard ou/et à réadapter ?
Disparités dans la formation : Combien de titulaires de diplômes de bibliothéconomie ? Combien reçoivent une formation continue ?. A-t-on conscience que la formation est un enjeu de plus-value pour l’établissement, de promotion et de reconnaissance pour les collègues ?
Disparités dans les budgets : comment expliquer que d’une mairie à l’autre, d’un établissement scolaire à l’autre, l’enveloppe financière peut varier du très, très, très peu au raisonné ;
Disparités dans le traitement des bibliothèques : s’est-on interrogé sur le devenir des bibliothèques, la pertinence de la bibliothèque encyclopédique, la nécessité à intégrer les nouveaux média, à fonder une cohérence territoriale et extra-territoriale ? ; Quid de la bibliothèque municipale de Cayenne-capitale en harmonie avec l’existant, laquelle au XXIe siècle n’est toujours pas sortie de terre, quid de la Bibliothèque Franconie qui assure toutes les missions ? ; Quid des archives départementales qui, à elles seules, sédimentent l’incurie scandaleuse de bien des années et démontrent le peu de cas fait à la mémoire ? Que penser de l’absence de communication TOTALE entre les personnels du réseau public et celui du réseau scolaire. Que penser de l’évaluation de tous nos centres, rarement réclamés par la hiérarchie. La hiérarchie lit-elle ?


Le politique, la DRAC, le Rectorat
Le Conseil général a eu l’excellente idée de faire un plan de développement du livre et de la lecture, ce qui d’ailleurs existe depuis fort longtemps dans bien des régions métropolitaines… Une initiative qu’on ne peut que saluer… MAIS… en collaboration avec qui ? Un plan de développement de la lecture ne peut être posé que dans sa globalité et doit concerner toutes les instances territoriales (Mairies, Région, Rectorat), les professionnels du livre, les représentations associatives (réduites à une peau de chagrin, il faut bien l’admettre) et le Rectorat, « propriétaire » du plus gros réseau de bibliothèques (scolaires). Sans conteste possible, la DRAC a été associée à un tel projet, laquelle DRAC, relais incontournable du CNL (Centre national du livre), nous tient peu informés des actions menées autour du livre. A l’exclusion des événements nationaux : Lire en fête (mort depuis) et le printemps des poètes, on ne sait rien de sa participation financière effective dans le réseau, son site est peu communicant, ses personnels dans un turn over inquiétant, une direction, lorsqu’elle existe (1 an pour nommer un nouveau DRAC ! Combien pour nommer le nouveau Conseiller du livre, lequel n’aura pas fait 2 ans…) on ne peut plus transparente. Que dire de tous ces actes manqués : le plan national de numérisation des archives, le plan national des BMVR (Bibliothèque municipale à vocation régionale), auxquels le politique n’a pas souscrit. Quant au Rectorat, il a une énorme responsabilité dans la lecture (ou non-lecture) de nos jeunes. Que penser, dans les CDI, du déséquilibre existant entre la recherche documentaire et les animations autour du livre-loisir. Quid des titularisations de tous ces personnels contractuels qui tiennent des CDI depuis fort longtemps ? Quid des dotations spécifiques CDI mal formalisées dans les textes et oubliées dans les faits. Comment constituer un premier fonds de référence sans moyens, à l’heure où de magnifiques établissements scolaires sont déployés dans tout le territoire ? Quant à la formation continue des documentalistes, elle se résume à 3 journées dans l’année…


Enfin le lecteurNous l’avons dit, le livre se sent un peu seul face à des loisirs pléthoriques, des nouveaux média, le net. Pourtant, rien ne nous permet de dire si on lit ou non en Guyane, à quel rythme, quels publics, quelles tranches d’âge, quelles catégories socioprofessionnelles, quels sexes 1? (cf. chiffres nationaux du CNL et du ministère de la culture). A quand donc une enquête qui concerne l’ensemble du territoire, permettant de mieux cerner le profil du lectorat guyanais et mieux agir dans l’intérêt de tous ?

Je veux croire n’avoir stigmatisé personne, je suis simplement une lectrice, documentaliste qui s’interroge sur l’urgence à mettre en place une véritable politique du livre dont il faut reconnaître qu’elle est bien moins claire et moins médiatisée que celle du sport et de la musique. Je lance donc un appel à une (voire des) rencontre fraternelle des acteurs du livre, institutionnels, professionnels, associatifs, sous la tutelle de la DRAC et de Promolivress.

1 http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/08resultat_chap6.php

(communication rendue publique lors de la Rentrée littéraire de Promolivres d'octobre 2009 à Rémire-Montjoly)

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    très intéressant cet état des lieux (beaucoup de questions mais notre ressenti nous donne déjà un bon axe de réponses).

    Pour ma part, je ne peux que déplorer la quasi inexistence de lecture au sein de nos hiérarchies. Et c'est bien là le problème car on ne discrédite pas un projet de lecture lorsqu'on lit soit même. Des CDI végètent car ils ne sont pas considérés à leur juste valeur.

    Il faut absolument que la lecture (et son accès) fassent de nouveau partie de l'ascenseur social.

    amicalement,

    Patrice

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  2. Bravo ! Un peu tard, mais bravo. Et quel echo a pu avoir ce constat en forme (pardon) de coup de gueule ? Pas grand chose, sans doute... Ce qui est triste, triste, c'est que la BDP (Conseil général) existe désormais si peu que vous ne prenez même pas la peine d'en parler. Triste, triste aussi, ce que vous dites de "l'absence de communication entre le réseau de lecture publique et les établissements scolaires"; ça n'a pas toujours été le cas, pourtant.

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